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ADULLACT
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francois.elie AT adullact.org
Madame la candidate,
monsieur le candidat,
Vous vous présenterez bientôt aux suffrages des citoyens français pour briguer la charge de Président de la République. La campagne présidentielle roulera autour de grands et de petits sujets. Je voudrais vous parler d'un sujet en apparence mineur dont les enjeux sont immenses: le logiciel libre.
Permettez-moi en préambule un rappel
historique et deux remarques.
Il ne viendrait à l'esprit de personne de payer son écot pour l'utilisation du théorème de Pythagore. Et pourtant, le saviez-vous, Pythagore interdisait à ses disciples de divulguer les théorèmes et leurs démonstrations. Il y a vingt-cinq siècles, le miracle grec, à qui nous devons en partie notre civilisation du savoir ouvert, a libéré les mathématiques. Il semble évident à tous qu'il y a un modèle économique autour des mathématiques libres: une économie de valeur ajoutée et non une économie de rente.
Nous assistons aujourd'hui à la libération de l'informatique. La France peut y avoir sa part, éminente: vous en déciderez.
Ce qui pourrait se produire aussi, si nous n'y prenons pas
garde, c'est le refermement de vingt-cinq siècles de savoir ouvert: une nuit
effroyable qui balaiera tout espace public à la faveur de droits de propriété
nouveaux dans l'univers immatériel et où la manipulation de l'information par
des pouvoirs obscurs sera l'instrument d'une perversion du politique, auprès
de laquelle les pires cauchemars de Tocqueville ou d'Orwell seront d'aimables
plaisanteries.
Si le commun des mortels ne sait pas grand chose de
l'informatique libre, c'est parce que l'informatique familiale a
connu un grand développement grâce à la diffusion des ordinateurs personnels
depuis le milieu des années quatre vingt, en faisant le succès d'un modèle
propriétaire (fermé, secret), et de situations monopolistiques et féodales.
Discrètement, un vaste mouvement spontané a produit de manière collaborative des systèmes
sérieux, solides, du niveau d'Unix, mais libres: par exemple
GNU/Linux. Les logiciels libres et les standards ouverts, issus de la recherche
scientifique, ont bâti l'internet. Excusez du peu! En France, nous n'avons pas
vu venir l'internet: nous avions le minitel. Nous étions un des premiers
pays dans le domaine informatique, et nous avons perdu notre place. Mais nous
n'avons pas perdu la guerre. On dit que l'histoire ne repasse pas les plats,
mais pourtant la France et l'Europe comptent beaucoup dans le domaine du
logiciel libre. Saurons-nous saisir notre chance?
Nous vivons une révolution sans précédent dans l'information; elle
brutalise nos systèmes juridiques parce que la copie d'un objet numérique est
identique à l'original, et elle surprend par sa vitesse. La place de la France
dans le monde de demain dépend de sa place dans la société de l'information.
Ceux qui ne seront pas dominés et qui pourront y porter les valeurs de la
liberté sont ceux qui maîtriseront les outils immatériels que sont
les logiciels. La
maîtrise des outils de traitement de l'information devrait nous préoccuper au
moins autant que l'indépendance énergétique. Une politique forte dans le
domaine du logiciel libre serait l'instrument de cette indépendance. Puisse la
France ne pas se tromper de guerre en s'armant avec les armes de la
précédente!
Dans un monde ouvert, notre pays, au sein de l'Europe,
doit agir pour se donner les moyens de son indépendance. Vous pourrez agir. La
France peut reconquérir la place qui lui revient: à plusieurs conditions. Voici six propositions concrètes, que l'Assemblée Générale de l'ADULLACT vous
encourage à faire vôtres.
(1) Les brevets sur les logiciels sont aussi absurdes que le serait un brevet sur le théorème de Pythagore. a) Ils ne servent qu'aux grandes entreprises, principalement étrangères, à freiner l'arrivée de nouveaux entrants sur leurs marchés. Or ce sont nos petites et moyennes entreprises qui font avant tout notre richesse d'innovation et qui sont les gisements des emplois d'aujourd'hui et de demain. b) L'insécurité juridique artificielle introduite par les brevets sur les logiciels fragiliserait l'administration électronique qui se bâtit en logiciels libres. En un mot: accepter les brevets sur les logiciels serait comme se tirer consciencieusement une balle dans le pied. Il faut que la France donne de la voix en Europe pour écarter définitivement ce danger mortel.
Il faut bouter les
brevets sur les logiciels hors d'Europe!
(2) L'espace public est en
danger. D'immenses empires se construisent en s'appropriant l'information
mondiale. La puissance publique doit donner l'exemple de l'ouverture: toutes les
données publiques doivent être accessibles à tous. Personne ne doit
avoir à repayer pour utiliser librement ce que les deniers publics de la Nation ont déjà payé. Il
faut encourager une économie de l'immatériel fondée sur l'exploitation
libre des communs, au lieu d'organiser leur production en vue de
la rente.
C'est vrai des données cartographiques et statistiques, des lois, des thèses,
des normes, etc. Des gisements de développement importants existent. Dans
l'univers libre, des forces immenses n'ont pas encore donné.
(3) Les
formats propriétaires (dont le code est secret ou l'utilisation restrictive ou
payante) sont a)
l'instrument de systèmes de contrôle fondés sur l'obscurité, b) le moyen par
lequel les clients deviennent captifs, et c) l'occasion d'extensions indues du
droit de propriété (sur les fameuses mesures techniques de
protection par exemple). Les administrations de l'Etat et des collectivités
doivent s'imposer des standards ouverts pour leur propre liberté et
imposer l'interopérabilité pour les accès à tous les objets numériques.
Le Référentiel Général sur l'Intéropérablité doit promouvoir les standards
ouverts tels que définis dans la Loi sur la Confiance dans l'Economie Numérique.
(4) Des monopoles qu'aucune loi anti-trust ne semble menacer dominent
l'informatique mondiale. Il faut faire respecter la loi qui interdit
la vente liée des ordinateurs et des systèmes d'exploitation ou logiciels.
Pourquoi un particulier qui achète un ordinateur se voit-il imposer l'achat d'un système
d'exploitation? Pourquoi peut-il avoir le choix en Argentine et pas en France? Pourrions-nous accepter que toutes les
voitures vendues en France soient toutes assurées par un assureur étranger qui
fait 90% de marge?
(5) C'est la jeunesse qui fera le monde de demain.
Il est très urgent d'enseigner très tôt la maîtrise et non pas
seulement l'utilisation de l'informatique, les techniques
et non pas les modes opératoires. Il faut promouvoir l'informatique
comme discipline à part entière dans l'enseignement secondaire, et y
encourager l'esprit et les outils de production et de partage, pour le savoir et
les richesses. Il faut former les acteurs et non de simples consommateurs de la
société de l'information. Pourquoi dans notre pays collégiens et lycéens ne
peuvent-il s'initier à la programmation ou au travail collaboratif?
(6) Le logiciel libre est
le laboratoire de l'économie de demain. Il est urgent de mesurer le levier que
constitue la commande publique, et la responsabilité de l'Etat en la matière:
les formats ouverts et les logiciels libres ne sont pas une menace contre la
concurrence, ils en sont la condition! Des économies d'échelle considérables
peuvent être faites. L'argent public ne doit payer qu'une fois, et
justement, un logiciel libre est gratuit une fois qu'il a été payé.
Une véritable mutualisation, à grande échelle, pour bâtir
l'administration électronique fera de la France entière un pôle de compétitivité logiciel libre. Il faut
soutenir activement, fortement et publiquement les initiatives dans ce
domaine, en invitant largement à inventer les modèles économiques fondés sur
l'excellence de la valeur ajoutée, qui redonneront à la France la place de
premier plan qu'elle mérite dans le concert des nations.
Richard M. Stallman1résume le logiciel libre en trois mots: liberté égalité fraternité. C'est la
devise de la France!
En vous demandant de prendre la mesure des enjeux du développement du logiciel libre pour la France, j'écris ces mots en tremblant: l'avenir en effet nous jugera. Ceux qui pouvaient agir et ne l'auront pas fait porteront une lourde responsabilité devant l'histoire.
Il faut faire vite car les
changements économiques et sociaux brutaux liés à la mondialisation des échanges et aux
changements climatiques réclament la participation active de tous, la
reconnaissance des compétences et des
changements continus. C'est précisément comme cela que se développent les
logiciels libres!
Je vous prie d'agréer, madame la candidate, monsieur le candidat, l'expression de ma très haute considération.
Privilégier, dans la mesure du possible, l'usage et le développement de logiciels libres dans les investissements de nos villes et de nos régions, de manière à ce que ces investissements puissent servir à d'autres collectivités locales.L'ADULLACT était accréditée au Sommet Mondial pour la Société de l'Information.