Éric Bothorel, député des Côtes d'Armor, a récemment rendu au Premier ministre Jean Castex son rapport sur la politique publique de la donnée, des algorithmes et des codes sources. La mission, lancée fin juin, était également portée par Stéphanie Combes , directrice du Health Data Hub, et Renaud Vedel, coordonnateur national pour l’Intelligence Artificielle.
La synthèse s'ouvre ainsi "Notre pays a besoin de plus d’ouverture – sous toutes ses formes : ouverture des données publiques (open data), mais aussi partage et accès sécurisé aux données sensibles. La France s’est placée à l’avant-garde européenne de la politique de la donnée et des codes sources depuis 2013, mais l’avance acquise est fragile." Le rapport rappelle que la politique de la donnée est utile à tous, et qu'elle est aussi un moyen puissant de restaurer la confiance dans l’action publique.
Pour rédiger ce rapport, la mission Bothorel a audité durant des mois de nombreux acteurs du numérique, tels que GFII, l'APRIL, le CNLL ou l'association ADULLACT. Auditionnée en novembre dernier par les membres de la mission, l'association a soumis les 5 propositions suivantes :
Actuellement, l'achat d'un logiciel propriétaire sous licence est souvent imputé au budget investissement de la collectivité, alors qu’il ne s’agit en fait que d’un contrat de location donnant un droit d’usage, tandis que le développement d'un logiciel libre est imputé en fonctionnement. Il faudrait inverser ! Lorsque nous investissons dans du logiciel libre, nous créons et entretenons du patrimoine immatériel, et donc de la valeur! Il serait donc plus logique d'imputer les frais liés aux logiciels libres au budget investissement, qui, comme chaque collectivité le sait, est plus facilement mobilisable, et de décourager les locations qui ne créent pas de valeur en les imputant pour ce qu’elles sont : du fonctionnement. Cette mesure aurait des effets considérables !
Aujourd'hui, lorsqu'une collectivité souhaite investir dans l'open data et les objets connectés, elle se retrouve confrontée à une mécanique d'enfermement dans des silos métiers. Exemple : une ville souhaite équipe ses points recyclage de capteurs de remplissage. Elle fait appel à un prestataire qui lui fournit une solution innovante clef en main. L'année suivante, la ville lance un marché public pour l'éclairage connecté. Un autre prestataire intervient. Mais lorsque la ville souhaitera relier les données des capteurs aux données d'éclairage, elle se rendra compte que c'est impossible! Même combat qu'il y a 20 ans, face aux éditeurs de logiciels qui ne souhaitaient pas entendre parler d'"interopérabilité" et qui faisaient payer très cher à leur clients des « reprises de données ».
Nous avons gagné sur le terrain du logiciel, il faut désormais recommencer dans l'open data. Le législateur serait bien inspiré d’inscrire dans la loi des dispositifs contraignant les prestataires à livrer les modèles de données à leurs clients publics, ainsi que les APIs leur permettant de les connecter, exploiter et publier à leur gré.
Les startups d'Etat, et désormais les startups de territoires, réalisent de superbes projets selon des méthodes agiles modernes. Mais rien n'est prévu pour gérer ces projets après la période d'incubation! Les collectivités se retrouvent seules face à ces octets sans aucune organisation pour maintenir ces souches et les valoriser. Il faut travailler d’emblée avec la communauté utilisatrice pour construire un modèle économique viable, et ainsi assurer la pérennité de ces projets. Cela permettra de garantir que ces nouveaux outils, développés sous licence libre avec de l'argent public, dans la sphère publique et y prospèrent.
Les objets numériques sont des biens non rivaux. il faut encourager fortement la mutualisation en matière d'achat public, notamment en amont. Les collectivités territoriales ont les mêmes besoins, aidons les à travailler ensemble pour produire des biens communs numériques utilisables par tous. Le législateur serait bien inspiré de mettre en place des dispositifs obligeant les collectivités à publier des déclaration d’intention d’appels d’offres dans le domaine numérique, d’encourager ceux qui mutualisent en rejoignant ces appels d’offres et constituant des groupements, et en décourageant ceux qui s’obstinent à répondre seuls à leurs besoins.
l'État développe chaque année de nombreux logiciels libres. 90% d'entre eux sont déposés sur le Github américain ! Pourquoi ne pas revenir aux fondamentaux de la souveraineté pour ces patrimoines immatériels ? En s'inspirant de la forge gitlab.adullact.net, créer une forge d'État (comme ce fut l'idée d'Admisource) pour les projets sous licence libre de l'État, et de manière générale financés avec de l’argent public.
Dans le cadre de la consultation publique organisée à l'automne, 108 contributions libres ont été publiées, qui ont reçu plus de 400 commentaires et près de 1800 soutiens.
Au final, le rapport Bothorel formule 37 recommandations ambitieuses pour apporter un regard nouveau à la politique de la donnée. Il pointe également les insuffisances de l'Etat en matière de logiciel libre, alors même que de nombreuses préconisations en ce sens ont déjà été formulées au fil des ans.
Une tribune a d'ailleurs été publiée ce dimanche 17 janvier dans Le Monde pour rappeler que le logiciel libre et les données ouvertes méritent une véritable stratégie publique, que ce soit au niveau français ou européen. Elle a été rédigée par Roberto DI COSMO (Directeur de Software Heritage à l'INRIA), Stéfane FERMIGIER (Co-Président du CNLL), Cédric THOMAS (Directeur Général d'OW2) et co-signée par ADULLACT.
Voir le site : https://www.mission-open-data.fr
Voir le rapport : https://www.mission-open-data.fr/uploads/decidim/attachment/file/36/Mission_Bothorel_Rapport.pdf
Voir la tribune : Tribune "Enjeu de souveraineté numérique, le logiciel libre mérite les moyens d’une véritable stratégie publique" (pdf) publiée dans Le Monde le 17/01/2021